Discours prononcé par
Damien Cottier,
conseiller national (NE),
président du groupe PLR des Chambres fédérales,
à l’occasion de la fête nationale suisse,
Le Landeron, mercredi 31 juillet 2024, 20h45
Seule la version prononcée fait foi
Mesdames et Messieurs,
Chers amis du Landeron, Chers Confédérés, Chers amis d’ici et d’ailleurs,
Vous des Vieux temps qui gardez la mémoire*… ainsi débute la chanson du Landeron. Et c’est ce que nous faisons ce soir, à l’occasion de la fête nationale: garder la mémoire. Nous souvenir de ce qui a fait la force, mais aussi les défis, de notre pays au fil des siècles.
Savoir d’où nous venons, pour savoir où nous allons.
Pour ma part, je sais d’où je viens : d’ici ! C’est au Landeron que j’ai grandi et même si j’habite un peu plus à l’Ouest depuis quelques années, j’aime me définir comme Landeronnais de l’extérieur, car c’est ici que me rattachent mon enfance, mes racines et une grande partie de celles de ma famille. Et je me souviens de nombreux engagements, notamment associatifs, ce qui me donne l’occasion de saluer amicalement mes anciens camarades de La Cécilienne.
C’est toujours un plaisir de revenir au Landeron – j’ai envie de dire à la maison – et plus particulièrement dans l’ancien Bourg où nous aimons nous réunir *: ce lieu presque hors du temps, qui a su préserver son cachet derrière ses épaisses murailles *, un lieu d’exception dont les Landeronnais fêteront l’an prochain les 700 ans ! Un village qui est peut-être le plus beau de Suisse !
La fête nationale c’est l’occasion de nous arrêter un instant pour regarder l’état du pays et du monde qui l’entoure. Et hélas ce dernier ne nous incite pas toujours à la joie, loin s’en faut !
Bien sûr il y a des paillettes et des exploits par exemple ceux des jeux olympiques qui nous font vibrer depuis l’entrée en scène – et sur Seine – de nos athlètes… et aujourd’hui la 2e médaille est tombée, en argent, au triathlon, et on espère en voir encore quelques-unes !
Mais hélas, l’actualité nous le rappelle aussi tous les jours, les crises sont multiples et les relations internationales se tendent : en Ukraine – où j’ai eu le triste privilège de me rendre quelques semaines après le début du conflit il y a 2 ans pour voir la situation à Kiev et constater les atroces crimes de guerres commis à Irpin et à Butcha - au Proche-Orient, dans le Caucase, au Soudan, en Afghanistan ou ailleurs, la liste, hélas, est longue.
Et ce qui frappe, c’est que dans leur immense majorité, les crises qui secouent notre planète ne sont pas dues à des phénomènes naturels non-maîtrisables, mais à des décisions humaines ! Alors que la communauté des États devrait s’engager, ensemble, et avec force, pour lutter contre des défis majeurs comme l’éradication de la pauvreté, la gestion de l’eau, le développement économique, l’éducation, la gestion des migrations ou bien sûr la lutte contre le changement climatique… l’essentiel de l’attention et des moyens sont happés par des crises et des guerres faites par les hommes. Pourtant si les gouvernements cherchaient à unir plutôt qu’à diviser, si l’on cherchait la solution plutôt que le problème, la concorde plutôt que la discorde, si un peu de sagesse l’emportait, alors, oui, il serait possible de résoudre de nombreuses crises, et le monde irait mieux !
J’étais il y a quelques semaines sur les plages du Débarquement en Normandie. Il y a exactement 80 ans des combats sanglants y faisaient rage pour libérer l’Europe de la tyrannie. Quelques années après seulement la France et l’Allemagne signaient un Traité d’amitié et depuis elles collaborent activement et pacifiquement. Cela nous montre que oui, toutes les crises, même les pires, peuvent être dépassées si la volonté est là !
Je me réjouis que la Suisse, parce que c’est dans ses valeurs, et dans son intérêt, contribue activement, par sa diplomatie et sa politique humanitaire, à alléger et résoudre les crises là où cela est possible, comme elle a tenté de le faire p.ex. avec la conférence du Bürgenstock sur l’Ukraine.
Cet état du monde nous rappelle aussi d’où, nous-mêmes, nous venons. La Suisse pays de paix est surtout un pays qui a su construire la paix – et la conserver – depuis un peu plus d’un siècle et demi. Mais auparavant, au fil des siècles, depuis l’alliance des 3 premiers cantons confédérés et la Pacte d’août 1291, les cantons et leurs alliés ont connu de nombreuses crises et même des guerres. C’est ce que nous rappellent d’ailleurs les fortifications de ce Vieux-Bourg du Landeron, édifié pour nous protéger des ambitions territoriales de l’Ours de Berne et du Prince-évêque de Bâle ! Mais toujours les Confédérés ont su préserver ou restaurer leur alliance.
Quant à l’État fédéral, il s’est constitué, en 1848, après une brève guerre civile, celle du Sonderbund. Mais c’est là que la magie du modèle suisse intervient, car au lieu de faire régner la loi du vainqueur, la Suisse intègre ses minorités, dans ses institutions, elle dilue le pouvoir, entre autorités des trois niveaux : du communal au fédéral. Personne en suisse : aucun parti, aucune région, aucune langue, aucune religion, aucune institution, ne détient le pouvoir seul.
Pour avancer il faut s’écouter, s’entendre et s’accorder. Il faut construire un consensus solide et large. Et toujours le peuple a le dernier mot.
J’ai la chance de représenter le Parlement au Conseil de l’Europe, une institution que la Suisse a rejoint en 1963 et qui aura bientôt un secrétaire général suisse, une organisation qu’il ne faut pas confondre avec l’Union européenne. Mes collègues à l’Assemblée parlementaire de Strasbourg, qui sont tous des parlementaires nationaux des 46 pays-membres, me demandent souvent : comment faites-vous en Suisse pour que cela marche avec un pouvoir aussi distribué ? Pour un Français ou un Belge, p.ex., c’est un vrai mystère…
Je leurs réponds : on ne sait pas vraiment pourquoi, mais ça marche !
Plus sérieusement je leur réponds que cela repose sur deux piliers d’une part nos institutions, ancrées dans la 1ère Constitution de 1848, mais aussi dans la 2e, celle de 1874, dont nous fêtons cette année les 150 ans, qui a introduit plusieurs nouveautés fondamentales dont le… tribunal fédéral, mais surtout le droit de référendum, complété quelques années après par le droit d’initiative. Les institutions sont essentielles, elles répartissent et équilibrent les pouvoirs. Nous devons en prendre soin.
Mais pour essentielles qu’elles soient, les institutions ne suffisent pas : il faut les faire vivre et pour cela il faut une culture politique, une volonté, celle de s’écouter, de chercher à se rapprocher, de construire ensemble, au-delà des différences.
Cette volonté commence dans un Conseil général ou communal, toujours composés de plusieurs partis, dont habituellement aucun ne détient seul la majorité. Et cela se poursuit jusqu’au Conseil fédéral et au Parlement.
Sans cet état d’esprit, cette volonté commune, malgré d’excellentes institutions, il n’y a pas moyen d’avancer. Il faut ce je-ne-sais-quoi, ce secret suisse basé sur la volonté, la sagesse, et parfois un certain courage aussi.
Entendez-moi bien, il ne s’agit pas d’abandonner ses convictions ! Au contraire dans une démocratie vivante chacun doit se battre pour ses idées. Mais il est un moment pour affirmer sa position et un autre pour faire un pas vers l’autre. Pas forcément pour lui donner raison. Mais pour trouver un terrain d’entente et construire ensemble un projet susceptible de rallier une majorité et de faire avancer le pays.
De cette capacité, prenons également grand soin ! Car rien n'est définitivement acquis. Jamais ! Les crises du monde le montrent : ni la paix, ni la démocratie, ni la prospérité. Et même en Suisse, nous voyons des signes inquiétants de durcissement du discours et du débat public.
Mais il n’y a pas d’un côté le vrai et de l’autre le faux, d’un côté le juste et de l’autre le mal… Cette perspective monochrome, simplificatrice est dangereuse pour la démocratie et, nous le savons tous, très éloignée de la réalité.
Nous vivons dans un monde complexe, les réponses aux défis ne peuvent pas être monochromes. Plus que jamais, il faut revendiquer le droit à la nuance ! Et l’indispensable respect des opinions des autres et de leur personne.
Chers Amis,
Savoir d’où nous venons pour savoir où nous allons.
L’image est pertinente aussi pour une autre raison : Construire le pays de demain, c’est un itinéraire, un chemin à parcourir ensemble.
Et je fais ici le lien avec le sport préféré des Suisses : la marche. Je n’en parle pas seulement parce que ce sont les Jeux… et que le 20km marche ouvrira demain matin 1er août, les épreuves olympiques d’athlétisme.
Je fais référence à l'insigne du 1er août qui cette année a la forme du panneau indicateur jaune, comme on en voit des milliers dans ce pays sillonné de chemins de randonnée qui permettent de s’évader, de (re)découvrir nos merveilleux paysages, de se rapprocher de la nature – et de nous-mêmes.
Car la marche a aussi une dimension humaine et sociale qui au fond représente bien cet esprit de la Suisse que j’évoquais. Nous en avons tous fait l’expérience : quand on marche, on prend le temps… et avoir le temps, c’est devenu le luxe ultime ! On apprécie la nature. On respire. On se ressource. On réfléchit mieux, et c’est prouvé scientifiquement : la marche stimule la réflexion et la créativité !
Et quand on marche à plusieurs, on se parle et on écoute l’autre avec plus d’attention et plus en profondeur. Là aussi la science le montre : marcher ensemble permet de rapprocher les points de vue.
Au fond c’est très semblable au processus politique suisse : alors oui c’est lent - mais osons l’éloge de la lenteur dans une époque où tout semble devoir être instantané ! - on se parle, on s’écoute, on progresse pas à pas, et l’un vers l’autre, parfois on fait des détours, mais on avance ensemble vers un but commun.
C'est pour cela - et je vous livre ici un petit scoop - qu’avec quelques collègues, nous avons créé un intergroupe « randonnée », dont plus de 50 parlementaires de tous partis sont membres.
Ce groupe qui est né d’une discussion que j’ai eue avec Daniel Jositch prévoit sa première marche dans un mois sur les bords du lac de Thoune, pour un moment de partage, d’échange et d’écoute au-delà des partis, des langues et des régions.
Chers amis,
Notre pays doit faire face à de nombreux défis : Union européenne, économie, finances publiques, santé, AVS, infrastructures, sécurité, … la liste est longue. Pour les relever, ayons la sagesse de continuer à nous appuyer sur ce secret suisse … et je ne parle pas de la recette de l’Appenzeller ! Ce petit plus qu’on ne peut pas vraiment expliquer, qui réside dans la volonté séculaire de construire un avenir ensemble, dans le respect, l’écoute et la volonté de jeter des ponts au-delà de nos cultures et de nos différences.
Pour unir plutôt que diviser.
Il est bientôt l’heure d’entonner l’hymne. Même si le nôtre ne nous dit pas « marchons, marchons… !», comme celui de nos voisins, il nous invite pourtant à parcourir nos monts – et pas seulement au brillant réveil – et à prendre soin, ensemble et dans le respect mutuel, de notre merveilleux pays. Alors il nous prédit un plus beau jour.
Il me reste à lever mon verre, pour m’empresser de boire à la santé des gens du Landeron* et à vous souhaiter une très belle fête nationale !
Vive Le Landeron et vive la Suisse !
* les parties marquées d’un astérisque sont extraits des paroles de la « Chanson du Landeron »