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La Suisse, nation de volonté (fête nationale suisse)

La Suisse, nation de volonté (fête nationale suisse)

Discours prononcé à l'occasion de la fête nationale suisse, le 1er août 2022 à La Brévine (NE)

Mesdames et Messieurs,

Chers compatriotes et chers habitants de notre pays,

Il y a 8 ans, j’ai eu la chance d’organiser la « course d’école » du Conseil fédéral qui, sous la houlette du président Didier Burkhalter, avait fait le tour de notre merveilleux canton sous le double thème « au fil de l’eau, au fil du temps ». Cette balade avait notamment emmené le collège sur les rives du lac des Taillères, pour une torée dans cet écrin d’exception. En arrivant l’un des 7 sages s’était exclamé « mais c’est le paradis ici » ! Il avait raison. Notre pays est un paradis et cette vallée en particulier.

Alors merci de m’y avoir invité, en ce jour de fête nationale. Merci d’autant plus que par cet été caniculaire, il est bon de venir profiter du climat pour lequel la vallée de La Brévine est connue loin à la ronde.

La Suisse, nation de volonté : cette expression est volontiers utilisée pour décrire notre pays. Et c’est vrai que le 1er août est l’occasion de nous rappeler que c’est un acte de volonté qui a fondé les prémices de l’ancienne Confédération des trois vallées primitives. Par la suite, et au fil des siècles, de nombreuses villes et régions, devenus cantons, ont rejoint cette alliance avec l’objectif de se protéger et de se secourir mutuellement face aux influences des puissants seigneurs alentours.

Nous célébrerons l’an prochain les 175 ans de la 1ère Constitution fédérale et c’est encore par un acte de volonté forte que la Suisse moderne a été créée, en 1848, faisant d’un réseau d’alliances entre cantons un pays unifié, un État fédéral avec des institutions centrales, un gouvernement, un parlement, une politique étrangère, une armée, puis une monnaie.

Au fil des siècles, c’est encore par la volonté que notre pays a su répondre aux défis auxquels il a été confronté. On pense notamment à la période troublée des deux conflits mondiaux et la volonté inébranlable du pays de se défendre, mais aussi plus récemment aux crises répétées : de la crise financière à la réponse à la pandémie.  

La volonté déclinée à la manière suisse, c’est aussi cette capacité à rechercher des majorités qui rassemblent, à viser le consensus, à intégrer les principaux courants de pensée. Et qui dit consensus dit aussi capacité à accepter des compromis, non pas sur ses valeurs, mais sur des projets pour les rendre possibles. La volonté de trouver des solutions qui tiennent compte des minorités, multiples, qui forment notre pays : minorités politiques, linguistiques, régionales, équilibre entre régions, entre villes et campagnes - et j’en passe. Cette volonté est ancrée dans nos institutions, avec leurs remarquables équilibres, dignes d’une fine pièce d’horlogerie neuchâteloise, mais aussi dans notre culture : pensons à la recherche du consensus politique mais aussi au partenariat social. Cet art du consensus est un des ingrédients qui ont fait le succès de la Suisse.

Ne laissons pas cette culture se diluer sous la pression d’une société devenue plus clivante. Comme si les idées d’un seul camp pouvaient être toujours meilleures que les idées de tous les autres ! C’est l’inverse qui est vrai : c’est toujours par l’addition des forces et des talents, par l’attention aux réflexions des autres que l’on forge des solutions encore meilleures et davantage susceptibles de trouver des majorités que des idéologies figées. Le courage politique ce n’est pas d’affirmer une position puis de ne plus bouger. C’est au contraire, affirmer son point de vue, puis entrer en dialogue, oser tendre l’oreille… et la main pour construire ensemble une solution pragmatique et viable.

C’est cela être une nation de volonté.

Et les défis ne manquent pas pour que la Suisse puisse maintenir son niveau de vie, de sécurité et de prospérité :

- La réponse au changement climatique, qui marque une nouvelle fois durement la nature en cet été caniculaire, et qui demande la volonté de trouver d’autres types de réponses après que le peuple a dit non à la révision de loi sur le CO2 l’an dernier. Car si on peut discuter de la manière d’y répondre, plus personne ne peut contester la nécessité d’agir. Le Parlement s’y attèle de même qu’il élabore un contre-projet, volontaire mais raisonnable, à l’initiative des glaciers.

- Le financement durable de nos retraites et en particulier de notre AVS demandera aussi de la volonté : celle d’accepter la réalité des chiffres, en particulier du vieillissement de la population, et d’accepter des compromis pour y répondre. La votation de septembre nous permettra de faire un pas important vers l’égalité entre hommes et femmes, le financement durable de l’AVS, avec des compensations ciblées. Une autre votation en septembre devra, elle, nous inciter à la raison face à une initiative extrême qui ferait de la Suisse un « sonderfall » avec une politique inapplicable en matière d’élevage d’animaux de rente. Là aussi il faudra de la volonté, celle de rester sur une ligne à la fois respectueuse, ce qui est le cas des normes actuelles, et raisonnable.

- Un autre défi évidemment est celui de la sécurité : l’agression russe est un crime contre l’Ukraine, contre la paix et contre la sécurité européenne. Pour y répondre, il faut la volonté de redonner des moyens à notre armée, comme le Parlement vient de le décider. Il faut aussi augmenter nos coopérations avec nos voisins, la plupart membres de l’OTAN. Pas question d’une adhésion, mais de coopérations pragmatiques pour améliorer la sécurité en Suisse. Il faut la volonté aussi de poursuivre une politique étrangère active, axée sur la promotion de la paix, des droits de l’homme et des principes humanitaires. Cela correspond aux valeurs de la Suisse et c’est aussi dans notre intérêt de contribuer à un monde en paix.

- La Suisse devra aussi faire preuve de volonté pour stabiliser et développer ses relations avec l’Union européenne. C’est vital pour une région comme la nôtre qui exporte 80% de ce qu’elle produit. Là aussi cela demandera du courage, celui d’affirmer ses positions, mais aussi d’être prêt à faire des pas vers l’autre pour trouver des solutions mutuellement bénéfiques. Il en va l’avenir à la voie bilatérale, donc de notre prospérité.

- Enfin l’énergie est, elle aussi, un défi à saisir avec volonté. Notamment pour augmenter la part indigène et renouvelable, en commençant par l’hydraulique. 15 projets existants permettront de produire 2000 gigawattheures supplémentaires. Il faut lancer les travaux et sortir d’un système où les procédures prennent 20 ans, comme pour le rehaussement du barrage du Grimsel. Il en va à la fois de la protection du climat et de la sécurité de notre approvisionnement.

 

Mesdames et Messieurs, 

Oui c’est le paradis ici !

C’est le sentiment que nous avions aussi il y a un mois en recevant une délégation de responsables ukrainiens sur les bords d’un autre lac, celui de Lugano, pour la conférence de reconstruction de l’Ukraine. Recevoir au paradis des femmes et des hommes venus d’un pays qui vit l’enfer : il y avait une sorte de paradoxe... et pourtant pas tant que cela si on y regarde de plus près. La Suisse est un pays qui, pendant des siècles, a connu des conflits internes et a été un champ de bataille pour les puissances européennes.

Fin juin j’ai eu le triste privilège de me rendre à Kiev. A la tête d’une délégation du Conseil de l’Europe j’ai pu visiter les villes martyrs d’Irpin et de Bucha où de nombreux civils ont été abattus et où des crimes de guerres ont été commis. A cette occasion j’ai remis au vice-maire d’Irpin et au prêtre de Bucha qui nous avaient reçus, un petit cristal venu de la région du Gothard, le cœur de la Suisse. Et je leur ai rappelé qu’il y a deux siècles encore, les armées du Tsar et les soldats de Napoléon s’y livraient des batailles féroces et meurtrières. Le petit cristal se voulait un signe de lumière et d’espoir venu d’un territoire de paix, mais qui ne l’a pas toujours été. Eh oui, la Suisse qui semble aujourd’hui en paix depuis toujours, ne l’a pas été pendant la plus grande partie de son histoire. Voilà qui peut donner espoir à chaque région du monde. La Suisse et, depuis trois-quarts de siècle une bonne partie de l’Europe, ont su construire la paix et la garder. La paix reviendra un jour en Ukraine et ce pays pourra, qui sait, devenir aussi prospère que notre pays. Quant à la Suisse, les crises actuelles nous montrent qu’elle ne doit jamais prendre sa liberté, sa sécurité ou sa prospérité pour acquises. Cela demande un travail, une attention et une volonté constantes.

Et bien sûr aussi un peu de chance, mais ne dit-on pas qu’elle sourit aux audacieux !

Merci de m’avoir invité au paradis, prenons-en soin, ensemble et avec volonté.

Bonne fête nationale, vive la vallée de La Brévine, vive Neuchâtel et vive la Suisse !

Damien Cottier

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