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Arcinfo: Relations Suisse-UE: une épée de Damoclès sur le canton de Neuchâtel

Arcinfo: Relations Suisse-UE: une épée de Damoclès sur le canton de Neuchâtel

EUROPE - Le 26 mai dernier, la Suisse a rompu les négociations avec l’Union européenne. L’accord-cadre est abandonné. Le canton de Neuchâtel, exportateur par essence, souffrira-t-il de cette situation? On fait le point avec Damien Cottier alors que le Conseil national tient un débat urgent ce mardi 15 juin. PAR DANIEL DROZ- 15.06.2021, 05:30 (C) Arcinfo

«Nous savons à quel point la recherche est capitale, à quel point nous sommes un canton exportateur. Pour Neuchâtel, c’est plus risqué que pour des cantons qui ont un autre type d’économie, plus touristique par exemple», relève le conseiller national neuchâtelois PLR Damien Cottier.

Neuchâtel est le 2e canton le plus exportateur du pays. Les risques qu’il encourt, alors que le Conseil fédéral vient de tirer un trait sur l’accord institutionnel avec l’Union européenne, sont sensibles.

 
 

40%

La part des exportations neuchâteloises à destination de l’Europe sur un total de 29,3 milliards de francs en 2019

Cette menace diffuse s’ajoute à la crise provoquée par la pandémie. Avec Vaud et Genève, Neuchâtel a été le canton qui a le plus souffert des conséquences économiques des mesures d’endiguement du Covid-19, relève l’institut Crea d’économie appliquée de l’Université de Lausanne.

Les exportations sont passées de 29,3 à 25,7 milliards de francs de 2019 à 2020, soit une baisse de 12,2%. Mais, toujours selon le Crea, le rebond sera plus rapide et fort que prévu cette année.

En savoir plus: Les exportations suisses par régions et cantons en 2020

«L’abandon de l’accord-cadre ouvre une période de grande incertitude. Avec les accords bilatéraux, un certain nombre de choses ont été mises en place au niveau des échanges commerciaux, de la recherche. Aujourd’hui, ça signifie de facto que les accords existants ne pourront pas évoluer», regrette Florian Németi, le directeur de la CNCI, la Chambre neuchâteloise du commerce et de l’industrie.

Premiers obstacles pour accéder au marché unique

Selon lui, le non-renouvellement de l’accord pour la reconnaissance des dispositifs médicaux (seringues, pompes à insuline, lits d’hôpitaux, etc.) est déjà un mauvais signal. «Les entreprises ne peuvent plus jouer sur pied d’égalité avec leurs concurrents européens», déplore-t-il.

«Cette situation les oblige à faire certifier leurs produits dans l’Union européenne. Ça ralentit le commerce, ça a un coût. Dans certains cas, ça empêche même d’exporter. Il faut une logistique sur place, accéder aux agences de certification dont l’Europe a réduit le nombre», constate le directeur de la CNCI. «Dans l’autre sens, il y a des produits qui ne peuvent plus être importés.»

Une entreprise biennoise touchée

L’entreprise biennoise MPS Precimed, active dans l’orthopédie et forte de 47 collaborateurs, a été touchée par ce changement de paradigme. La société fait partie d’un ensemble plus grand, MPS Micro Precision Systems, qui compte environ 430 employés. Ses activités vont de l’horlogerie à la micromécanique en passant par la réalisation de lasers.

«La première conséquence est une incertitude», explique Nicola Thibaudeau, la directrice générale de MPS. Dans un premier temps, le certificat des produits orthopédiques, délivré par un organe suisse, semblait ne plus être valable. Dans un deuxième, il l’est de nouveau.

«Nos produits sont pratiquement uniques et très innovants. Nous n’arrêtons pas de produire. Nous recommencerons prochainement à livrer. Notre production et notre personnel ne sont pas touchés», relève Nicola Thibaudeau.

Ces chicanes ont un coût. «C’est supportable pour nous mais pour une société plus petite, c’est difficile. Mais on doit manger sur nos marges», dit la directrice générale.

La faîtière des medtechs estime que ces obstacles coûteront plus de 2% du volume des exportations vers l’UE, qui s’élèvent à 5,2 milliards de francs.

En savoir plus: Accord-cadre avec l’UE: les medtechs sur leurs gardes

Ces nouveaux obstacles désavantagent les PME – très largement majoritaires dans le canton de Neuchâtel – par rapport aux grandes entreprises et aux multinationales. «Quand il y a des complications, des formalités ou des contraintes douanières, les PME sont davantage pénalisées. Elles peuvent sous-traiter à des prestataires, mais ça a un coût, soit des milliers ou des dizaines de milliers de francs aujourd’hui. Nous ne sommes pas dans des coûts marginaux.»

«Des délocalisations dans l’Union européenne et le gel d’investissements industriels sont prévisibles, des créations d’emplois ne se feront pas», avertit Florian Németi.

Le secteur des machines pénalisé l’an prochain?

«Aujourd’hui, la décision unilatérale du Conseil fédéral a des conséquences immédiates, concrètes, pénalisantes pour plusieurs secteurs de l’économie suisse. Si ce n’est pas déjà maintenant, c’est pour l’année prochaine», craint encore le directeur de la CNCI.

Le secteur des machines pourrait être frappé de la même manière que celui des medtechs. L’accord sur l’homologation des produits arrive à échéance l’an prochain. «Les machines, avec la pharma, c’est ce qu’il y a de plus gros en termes d’exportations», relève-t-il.

L’horlogerie, a priori, est moins menacée. «Elle est moins ou pas soumise à ces questions d’homologation ou d’obstacles au commerce. Ses marchés sont plus mondialisés. Mais l’accès au marché européen peut se compliquer», dit Florian Németi.

La recherche retient son souffle

Une autre menace plane. Des parlementaires suisses et européens ont lancé un appel vendredi 11 juin. Ils enjoignent l’Union européenne à ne pas priver la Suisse d’accès aux programmes de recherche, notamment Horizon Europe. Des millions de francs de crédits sont en jeu pour le CSEM, l’Université de Neuchâtel, la Haute Ecole Arc et Microcity.

«Toute position qui pourrait durcir les fronts en matière de recherche et de mobilité des étudiants nous inquiète. Ce n’est pas uniquement une question financière, c’est aussi celle des réseaux, de la collaboration. Si tout va bien, nous serons sur un strapontin. Si tout va mal, nous ne participerons même plus aux programmes et n’aurons plus de leadership dans les projets», s’inquiète Didier Berberat, le président du Conseil de l’Université de Neuchâtel.

«S’il y a un affaiblissement de la recherche et développement, très vite derrière il y a celui de la capacité d’innovation des entreprises», renchérit Florian Németi.

«Pour moi, le plus grand danger est que nous nous endormions. Chaque année qui passe peut faire très mal pour un secteur industriel ou de service», craint le directeur de la CNCI. Si le moteur de l’exportation se grippe, le marché intérieur et l’économie suisse dans son ensemble en souffriront, conclut-il.

DAMIEN COTTIER: «IL FAUDRA ÊTRE CRÉATIF!»

 

Le conseiller national libéral-radical Damien Cottier est un fin connaisseur des relations entre la Suisse et l’Union européenne. Ancien collaborateur du conseiller fédéral Didier Burkhalter, le Neuchâtelois connaît bien les enjeux du dossier. Dans ce contexte, il est intervenu aux Chambres fédérales.

«Le Conseil fédéral est chargé de réexaminer les instruments de politique européenne à la lumière du nouveau contexte», demande-t-il dans un postulat. Un rapport complet sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne et l’analyse des différentes options pour la suite des opérations devrait être dressé.

«Nous avions retenu une solution, considérée comme la meilleure pendant des années. D’un coup, elle n’est plus là. Il faut maintenant analyser en détail la situation et les alternatives. Et il faudra être créatif!», dit le libéral-radical neuchâtelois en référence à l’abandon du projet d’accord-cadre avec Bruxelles.

PAS DE SOLUTION MIRACLE

«Nous n’allons pas trouver une solution miracle.» Le conseiller national s’est inspiré d’un texte similaire, déposé par son homologue et collègue de parti, la Bernoise Christa Markwalder, datant de 2010.

Le Conseil fédéral avait alors livré un rapport d’une centaine de pages. Il y passait en revue toutes les alternatives: l’adhésion à l’Union européenne, à l’Espace économique européen, la voie bilatérale, la voie bilatérale dynamisée, un accord de libre-échange amélioré, l’Alleingang (la voie solitaire) pour en conclure que la voie bilatérale restait la plus avantageuse pour la Suisse.

En savoir plus: Le rapport de 2010 du Conseil fédéral sur l’évaluation de la politique européenne

Depuis cette date, le gouvernement n’a pas livré au Parlement d’analyse globale approfondie. «Symboliquement, ça marque le fait que nous n’avons pas fait beaucoup de progrès malgré beaucoup de travail. Aujourd’hui, tout est interrompu: nous revenons au point de départ», regrette Damien Cottier.

DÉBAT URGENT AU CONSEIL NATIONAL

«Le débat urgent du mardi 15 juin au National sera un premier point de situation. Mais il faut approfondir l’analyse dans tous les dossiers. Ce document peut permettre dans une année ou deux d’établir une nouvelle stratégie suisse étayée en ayant fait une analyse extrêmement précise», estime le Neuchâtelois.

«Il ne faut pas être pessimiste, mais pas naïf non plus. Nous nous sommes mis en position de demandeurs, parce que c’est nous qui avons interrompu les discussions. Ce n’est jamais très bon en termes de négociations», dit-il.

Le postulat de Damien Cottier a été cosigné par cinquante conseillers nationaux, de tous les groupes, sauf l’UDC.

«J’espère que le Conseil fédéral va l’accepter. Si c’est le cas, il peut faire les choses relativement rapidement, une grande partie de l’analyse existe déjà, mais elle est à mettre à jour et à rassembler dans une vision globale», conclut le Neuchâtelois.

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