Dans un mois, nous voterons sur l’extension de la norme pénale contre les discriminations en raison de l’orientation sexuelle. Cette norme protège déjà depuis 1995 contre des attaques et discriminations en raison de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse. Il reste aujourd’hui légal d’insulter les personnes homosexuelles ou bisexuelles comme groupe. Un délit contre l’honneur ne peut être retenu que si la victime peut être clairement identifiée. Il n’existe pas de moyen d’agir contre la diffamation publique de groupes homo- ou bisexuels. Pourtant, ces communautés sont encore souvent l’objet d’insultes ou de préjugés qui peuvent même conduire à des agressions physiques, comme récemment au centre de Zurich.
Bien que la loi protège des discriminations grossières, comme interdire l’accès à un café en raison de son origine, il reste possible pour une crèche de refuser la garde d’un enfant ayant deux papas. Cela paraît absurde? C’est pourtant arrivé récemment en Argovie.
Une importante dimension pénale…
La question est de savoir si certains appels à la haine, attaques verbales ou discriminations contre une communauté sont punissables ou non. Mais pas n’importe quelle critique! La norme antiraciste existe depuis vingt-cinq ans, on a pu voir que les tribunaux suisses l’appliquent de manière raisonnable. Si leur interprétation devait aller trop loin, la Cour européenne des droits de l’homme est là pour le leur rappeler. Elle l’a déjà fait.
La loi soumise au peuple prévoit en particulier de punir «celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination», «celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique» ou qui aura «abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine».
Les référendaires se trompent en disant qu’il s’agit d’une censure et qu’il ne sera plus possible d’exprimer des doutes sur l’homosexualité ou d’en débattre, dans un cadre familial ou entre amis. Les discussions en privé sont exemptées de ces mesures et seuls seront prohibés l’appel à la haine, l’insulte et la propagande publiques ou les discriminations relatives à des prestations destinées à l’usage public.
… mais surtout une dimension éducative
La question posée au peuple est surtout importante sur le plan éducatif. La meilleure manière de lutter contre l’exclusion passe par l’éducation plus que par la sanction. Or le nombre de condamnations en vertu de l’art. 261 bis CP est faible: environ 40 cas par an sont portés devant les tribunaux, dont 60% aboutissent à des condamnations. Mais l’effet éducatif a été fort. Chacun sait aujourd’hui, quels que soient son âge ou son niveau de formation, qu’il y a des choses qui ne se disent pas, parce qu’elles sont bêtes mais aussi parce qu’elles sont blessantes et choquantes. L’Etat y a mis un holà. Il a posé les limites de la liberté d’expression là où celle-ci porte atteinte à la dignité d’autrui.
La discussion n’est pas vaine. En témoignent les tombereaux d’insultes et de propos dégradants subis par la communauté lesbienne sur les réseaux sociaux en avril 2019 à la suite d’une manifestation organisée à Lausanne. Ces propos provenaient d’un petit nombre de personnes mal intentionnées mais très actives. Cela mérite le même signal clair: l’Etat doit dire que cela n’est pas acceptable et pouvoir punir au besoin.
Aujourd’hui encore, les adolescents qui s’interrogent sur leur sexualité souffrent parce qu’ils se sentent différents. Le taux de tentatives de suicide chez les jeunes gays est entre deux et cinq fois plus élevé que chez les hétérosexuels. Si la société laisse les insultes proliférer sans réagir, cela renforcera un sentiment d’exclusion, donc cette souffrance et potentiellement cette violence. Si au contraire on donne un signal clair selon lequel les insultes et discriminations ne sont pas tolérées, on renforce l’acceptation des minorités concernées. C’est un acte éducatif fort, un acte d’intégration!
La Suisse que nous aimons n’est pas celle qui profère des insultes impunément, incite à la haine ou exclut: c’est celle qui intègre et protège ses minorités. Le 9 février, nous pouvons donner un signal fort et clair en ce sens en votant OUI.